Dans la seconde moitié du XIXe siècle s’ouvrent les premiers musées ethnographiques, instruments sur lesquels s’appuieront les sciences anthropologiques naissantes pour forger de nouvelles hypothèses, élaborer un savoir, diffuser un enseignement. Dans ce nouveau cadre, l’objet ethnographique n’est plus appréhendé comme curiosité mais, classé par séries sur le modèle des sciences naturelles, il acquiert une valeur documentaire et devient moyen de connaissance.
Trois types de musées voient le jour simultanément: les musées d’ethnographie générale, ceux d’ethnographie régionale et les musées de plein air. Les premiers sont fondés dans les grandes villes de l’Europe et en Amérique du Nord, où ils sont souvent associés aux musées de sciences naturelles. Ils rassemblent surtout des objets exotiques originaires de l’Amérique indienne, de l’Afrique noire, de l’Océanie et de l’Arctique. En Europe, les premiers fonds proviennent des anciens cabinets de curiosités que souverains ou grands personnages avaient constitués depuis la Renaissance. Ainsi, aux Pays-Bas, les collections des stathouders des XVIIe et XVIIIe siècles rejoignent le Rijksmuseum de Leyde, en Angleterre, celles des amateurs Hans Sloane et John Tradescant le British Museum, en France, le cabinet du roi – qui conservait notamment le manteau de plumes tupinamba offert à François Ier – le musée du Trocadéro. Par échanges, donations, achats, collectes, ces musées ne cessent de s’enrichir, l’expansion coloniale offrant de nouveaux terrains d’études et d’observation. De surcroît, les expositions universelles, en mettant à la portée du grand public les civilisations des peuples sans écriture, stimulent la création de nouveaux musées – India Museum à Londres en 1887, musée du Congo belge à Tervuren en 1897. La muséographie du XIXe siècle, marquée par les idées évolutionnistes, en est l’illustration.
Les musées d’ethnographie régionale se consacrent, à l’échelle d’un pays ou d’une région, aux cultures populaires des sociétés développées. L’éveil du sentiment national lié à la constitution des États-nations s’accompagne d’un intérêt nouveau pour le monde rural, menacé par la croissance industrielle. Le Nordiska Museet (1873), qui s’ouvre à Stockholm dans la foulée de l’émancipation suédoise, est le premier à réunir les arts, l’histoire et l’ethnographie de la Scandinavie. Quant aux régions, elles rassemblent les objets témoins des traditions locales, associant souvent histoire, archéologie et ethnographie – Museon arlaten en Arles en 1899, Musée alsacien en 1907, Musée basque en 1923. Mouvement qui se poursuit dans toute l’Europe durant le XXe siècle: entre les deux guerres mondiales dans les pays baltes et chez les minorités dépendantes de l’URSS, après la guerre dans les démocraties populaires de l’Europe centrale et dans les pays décolonisés. À partir de 1970, ces musées vont se multiplier (en France leur nombre triple), les collections, les modes de présentation, les appellations se diversifient: on parle de folklore, d’arts et traditions populaires, d’ethnographie, d’anthropologie.
Le premier musée de plein air est créé par le professeur Hazelius en 1891 à Skansen, en Suède: des maisons traditionnelles avec tout leur équipement sont démontées et reconstruites dans un parc. Dans le même esprit, plusieurs centaines de musées se créent en Europe, aux États-Unis, au Canada, au Japon, en Afrique.
Le Musée national des arts et traditions populaires
Créé le 1er mai 1937, avec l’appui du gouvernement du Front populaire, il est le premier établissement public national consacré à ce qu’on appelait jusque-là le folklore. Georges Henri Rivière, le conservateur, le conçoit comme un musée de synthèse, complément des musées régionaux. Sur le modèle du musée de l’Homme, il développe, à côté de la conservation et de la présentation, des activités de recherche. Les collections françaises de l’ancien musée du Trocadéro (7 734 objets répertoriés) sont réunies dans l’aile gauche du nouveau palais de Chaillot. Ce fonds va rapidement s’enrichir grâce à la politique d’acquisition menée par Rivière: au cours d’enquêtes lancées sur le terrain – architecture, mobilier, artisanat – de nombreux objets sont méthodiquement collectés, leurs usages décrits. Cependant, le musée devient vite trop exigu et recourt à des expositions temporaires – une vingtaine entre 1951 et 1963 – qui, par leur conception, préfigurent les salles du futur musée du bois de Boulogne. Celui-ci se limite d’abord à une galerie d’études (1974), qui présente les objets par séries typologiques. L’année suivante s’y ajoute la galerie culturelle, destinée au grand public, et qui, à l’inverse, expose des ensembles – intérieurs de fermes ou ateliers d’artisans – fidèlement reconstitués. Uniquement consacré à la société rurale jusqu’en 1975, le musée s’ouvre dorénavant au monde urbain – enseignes, boutiques, attirail de foires –, lui-même menacé par la modernisation.
Les écomusées
En 1937, l’ethnologue G.H. Rivière envisage la création d’un musée de plein air sur le modèle de celui de la Suède, mais l’extrême variété de l’architecture rurale en France, le plus souvent en pierre, en rend la réalisation difficile. C’est un projet un peu différent qui se met en place lorsque se définit la politique d’aménagement du territoire, à partir de 1967: on décide l’installation de structures muséographiques nouvelles, les écomusées. En 1969, celui de la Grande Lande, inclus dans le parc naturel régional des Landes de Gascogne, s’organise autour de deux sites principaux: Marquèze, où une exploitation agropastorale du XIXe siècle est remise en état de fonctionnement; Luxey, où est recréé le monde de la petite industrie. Depuis la création de l’écomusée du Creusot en 1971, une vingtaine d’écomusées ont vu le jour en France. Par son projet, l’écomusée est plus qu’un simple conservatoire, il fait appel à la population. De plus, sa structure est souple: à Fresnes (1980), il prend la forme d’expositions temporaires rendant compte de l’actualité et des grands problèmes sociaux.