L’énergie nucléaire est à la fois la source d’énergie la plus concentrée et, par la technologie nécessaire à sa maîtrise, la forme d’énergie la plus élaborée. Outre son utilisation militaire, inaugurée par les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, qui ont mis fin à la Seconde Guerre mondiale, sa principale application civile est la production d’électricité.
Exploiter l’énergie nucléaire, c’est utiliser des réactions affectant le noyau de l’atome pour produire de l’énergie. Ces réactions comprennent la fission – un noyau d’un atome donne naissance à deux autres noyaux dont la masse est la moitié environ de celle du noyau initial – et la fusion, ou réunion de deux noyaux. Le processus de fission nucléaire est à ce jour la seule méthode maîtrisée à l’échelle industrielle.
La source de l’énergie nucléaire
L’atome est constitué d’une région centrale, le noyau atomique, autour de laquelle se déplacent les électrons, soumis à l’action des forces électromagnétiques. Le noyau a une dimension 10 000 fois plus faible que celle de l’atome. Le noyau se compose d’un agrégat serré de protons, chargés positivement, et de neutrons, neutres par définition, c’est-à-dire sans charge électrique. Le nombre total de ces particules (ou nucléons) varie selon les corps et définit leur nombre de masse (ou masse atomique). En effet, si les protons sont en nombre égal à celui des électrons périphériques (ce nombre est désigné par Z), en revanche le nombre de neutrons est variable pour un élément donné (ce nombre est désigné par N). Ainsi le nombre de nucléons, nombre de masse, correspond à: A = Z + N.
La cohésion du noyau
La cohésion du noyau est assurée par les forces nucléaires, qui sont considérables – elles sont environ un million de fois supérieures aux forces interatomiques ou intermoléculaires, qui, elles, font intervenir les électrons. Sans ces forces nucléaires, les protons, portant une charge de même signe, se repousseraient mutuellement. Cependant, si les interactions entre nucléons sont très intenses, elles décroissent très vite avec la distance et elles n’agissent que lorsque les nucléons sont très voisins.< L’énergie de liaison d’un noyau E1, ou l’interaction entre les nucléons, peut être définie comme la différence entre l’énergie des nucléons très éloignés – sans interaction – et l’énergie de ces A nucléons associés dans un noyau.< Le principe de l’équivalence de la masse d’un corps et de l’énergie, formulé par Albert Einstein, permet d’exprimer l’énergie de liaison des nucléons à l’aide de la relation E = mc2, où c2 est le carré de la vitesse de la lumière. Cela signifie que la masse d’un noyau est toujours inférieure à celle que totaliseraient ses nucléons s’ils étaient libres. La relation d’Einstein devient E1 = Pmc2, où E1 est l’énergie de liaison et Pm le défaut de masse. Le défaut de masse, et, par conséquent, l’énergie de liaison, n’est pas le même pour tous les éléments: il est peu important pour les noyaux de masse atomique faible comme l’hydrogène, maximal pour les noyaux de masse atomique moyenne comme le fer, et faible pour les noyaux de masse atomique élevée comme l’uranium. Pour les noyaux de nombre de masse A supérieurs à 50, l’énergie de liaison diminue quand le nombre de nucléons du noyau augmente. Pour libérer l’énergie nucléaire, il faut donc créer un défaut de masse en transmutant, par fusion ou par fission, des éléments présentant un défaut de masse faible en éléments de masse atomique moyenne, plus stables, mieux liés, donc présentant un défaut de masse maximal.
Fission nucléaire et réaction en chaîne
Dans le processus de fission nucléaire, des noyaux lourds, tels que ceux de l’uranium 235, sont bombardés de neutrons et se scindent en deux noyaux plus petits: les produits de fission. Cette désintégration s’accompagne d’un dégagement d’énergie dû à la séparation d’un noyau lourd en fragments possédant chacun un nombre de nucléons moins élevé, ces derniers gagnant chacun en énergie de liaison: E1 (fragment 1 + fragment 2) – E1 (noyau initial) = énergie nucléaire; il y a aussi libération simultanée de deux ou trois neutrons. La quantité d’énergie produite par la fission d’un noyau est de l’ordre de 200 MeV. La majeure partie de cette énergie est cinétique puis calorifique; elle provient essentiellement des produits de fission. Le reste est transporté par des rayonnements bêta et gamma, et par les neutrons, qui peuvent provoquer la fission d’autres noyaux lourds, lesquels à leur tour libéreront de nouveaux neutrons et ainsi de suite; c’est la réaction en chaîne.
La réaction en chaîne
Le contrôle de la réaction en chaîne s’effectue dans un milieu fermé, le réacteur, en agissant sur le coefficient de multiplication des neutrons «productifs», aptes à provoquer de nouvelles fissions. En effet, si un neutron peut provoquer la fission d’un noyau, il peut aussi être absorbé par des noyaux non fissiles (les matériaux constituant les structures du réacteur, ou d’autres noyaux qui capturent les neutrons ne donnant pas de fission), ou s’échapper du réacteur. Pour entretenir, de façon continue, un dégagement d’énergie prédéterminé, il faut donc que le nombre de fissions par unité de temps soit constant; en d’autres termes, que la «population» de neutrons soit maintenue constante, ou encore, que le rapport entre le nombre moyen de neutrons de fission libérés à chaque «génération» et le nombre total de neutrons produits par fission à la «génération précédente» soit égal à 1; le régime est alors dit critique. Si le facteur de multiplication est supérieur à 1, le régime est dit surcritique ou divergent; c’est le mode de démarrage du réacteur. Si, enfin, le coefficient de multiplication est inférieur à 1, le régime est sous-critique: dans ce cas, la réaction décroît puis s’arrête.
Les principaux composants d’un réacteur nucléaire
Les réactions de fission se produisent au sein même du combustible, le «cœur» du réacteur, contenu dans une cuve. Les dimensions et les matériaux de la cuve, la nature et la quantité de combustible utilisé, l’énergie cinétique des neutrons sont prévus de façon à obtenir le meilleur équilibre entre le nombre de neutrons productifs et le nombre de neutrons absorbés par d’autres matériaux ou s’échappant. Le réglage fin est effectué en cours d’exploitation, en introduisant dans le cœur du réacteur des corps (ou des composés chimiques les contenant) qui capturent beaucoup de neutrons. Très souvent ces corps sont usinés en forme de barre – ou contenus dans des tubes métalliques –, que l’on appelle barres de commande.
Le combustible
Ce terme est quelque peu inapproprié car les réactions de fission ne produisent ni flamme ni fumée et ne nécessitent pas d’oxygène. Le combustible se présente sous la forme de pastilles d’oxyde ou de métal empilées dans des tubes disposés verticalement dans la cuve du réacteur. L’uranium et le thorium sont les seules ressources naturelles utilisables dans ce processus. L’uranium, utilisé sous forme naturelle ou enrichie, couvre pour l’instant l’ensemble des besoins. Il permet aussi d’élaborer un autre combustible, artificiel celui-ci, le plutonium.
L’uranium naturel est composé de 0,7 % d’uranium 235 et de 99,3 % d’uranium 238. Sous l’impact d’un neutron, ces deux isotopes réagissent différemment; le premier est fissile, tandis que le second se transforme en plutonium 239, un autre élément fissible; on dit qu’il est fertile. Pour que la réaction en chaîne se produise, il faut rassembler une quantité suffisante de combustible, appelée masse critique, afin que les neutrons libérés rencontrent plus facilement les noyaux d’uranium 235. Pour extraire davantage d’énergie d’une même quantité de combustible, on utilise dans la plupart des réacteurs de l’uranium enrichi en uranium 235.
Le modérateur
Il est utilisé dans les réacteurs dits à «neutrons lents» (ou «thermiques»). En effet, dans un réacteur utilisant de l’uranium, il est nécessaire de ralentir les neutrons émis à très grande vitesse (20 000 km/s) jusqu’à ce que leur énergie cinétique soit à peu près égale à l’énergie d’agitation thermique du milieu, soit une vitesse de 2 km/s. Étant donné la faible proportion d’uranium 235 contenue dans la masse de combustible, la probabilité de provoquer de nouvelles fissions est alors plus grande, car l’uranium 235 capte plus facilement les neutrons lents et l’uranium 238 les absorbe moins facilement. En effet, si l’on considère le neutron comme un projectile et le noyau comme une cible, on peut admettre, en toute logique, que plus les neutrons se déplacent rapidement, plus ils «battent de terrain» en un temps donné et plus ils ont, a priori, de chances de rencontrer un noyau avec lequel réagir. Mais il est également envisageable de dire que plus le projectile et la cible sont gros, plus ils ont des chances de se rencontrer, et, dans certains cas, la «zone d’influence» de la cible (les noyaux) diffère largement de leur volume physique réel. De même, lorsqu’il s’agit de neutrons lents, tout se passe comme si ces neutrons devenaient «géants». Ce «gigantisme» des faibles vitesses s’explique par la mécanique ondulatoire, qui donne aux neutrons thermiques des dimensions en «paquets d’ondes» très supérieures (10 000 fois) aux dimensions de la particule. Pour éviter cela, le combustible est noyé dans un milieu composé de noyaux légers, appelé modérateur. Le ralentissement des neutrons s’effectue par chocs successifs sur ces noyaux légers dont la masse doit être cependant suffisamment proche de celle des neutrons afin d’éviter que ceux-ci ne rebondissent sans perdre de leur vitesse. Le modérateur doit aussi être le moins absorbant possible. On peut utiliser du graphite, de l’eau ordinaire ou de l’eau lourde, cette dernière étant le meilleur modérateur mais aussi le plus onéreux. L’eau ordinaire est un excellent ralentisseur de neutrons mais la présence d’hydrogène, très absorbant, interdit son utilisation avec de l’uranium naturel.
Les barres de commande, faites de matériaux très absorbants comme le bore ou le cadmium, permettent de modifier le régime du réacteur. Suivant qu’elles sont introduites plus ou moins profondément dans le cœur, entre les éléments combustibles, la réaction décroît ou croît.
Le fluide caloporteur
Ce fluide, comme dans une centrale thermique à flamme, permet de récupérer la chaleur produite par le combustible. Dans un réacteur nucléaire, son rôle est aussi d’assurer le refroidissement du cœur pour éviter qu’il ne fonde. Ce réfrigérant peut être du gaz carbonique, de l’hélium, de l’eau ordinaire (sous pression ou bouillante), de l’eau lourde ou du sodium liquide. Il circule en circuit fermé et constitue le circuit primaire. Certains types de réacteurs utilisent la même matière à la fois comme modérateur et comme caloporteur. Le fluide est alors en contact avec les éléments combustibles, entre lesquels il circule. Il peut dans ce cas véhiculer des molécules d’un corps afin de contrôler la réaction nucléaire et de contribuer à la régulation de la «population» de neutrons.
Les différents types de réacteurs
Selon la nature du combustible, du modérateur et du réfrigérant utilisés, on distingue différents types de réacteurs, ou filières nucléaires. Les réacteurs graphite-gaz (UNGG) emploient de l’uranium naturel comme combustible, du graphite comme modérateur et du gaz carbonique sous pression comme caloporteur. Cette filière s’est surtout développée en France et au Royaume-Uni. Les réacteurs à eau ordinaire utilisent de l’uranium enrichi à 3 %. La réaction est modérée et refroidie à l’eau ordinaire. Deux filières ont été développées: celle des réacteurs à eau bouillante (REB) et celle des réacteurs à eau pressurisée
(REP). Dans la filière REB, nous trouvons les réacteurs du type de Tchernobyl, les RBMK, de conception ancienne, ceux-ci ne répondent plus aux mouvements de sûreté. Une quinzaine de réacteurs de ce type sont encore en fonctionnement dans les pays de l’ex-Union soviétique. Dans la filière REP, de loin la plus utilisée dans le monde, l’eau est maintenue sous une pression de 155 bars pour l’empêcher de bouillir. L’uranium enrichi fournissant beaucoup plus de neutrons que l’uranium naturel, ces réacteurs sont, à puissance égale, plus petits que ceux de la filière graphite-gaz. La construction est moins onéreuse mais le combustible est plus cher. Le chargement en combustible est de 72,5 t pour un REP de 900 MWe. Une autre filière à eau sous pression (VVER), de conception soviétique, équipe les pays de l’ex-Union soviétique et de l’Est européen. Les réacteurs à eau lourde consomment de l’uranium naturel, emploient de l’eau lourde comme modérateur et de l’eau lourde sous pression comme fluide caloporteur. Cette filière, employée au Canada, en Argentine et en Inde, présente l’avantage de ne pas nécessiter d’enrichissement. Les réacteurs à haute température refroidis au gaz utilisent de l’uranium hautement enrichi, du graphite comme modérateur, de l’hélium comme caloporteur et du thorium fertile. Cette filière, très peu employée, demeure intéressante car elle permet d’exploiter les immenses ressources de thorium. Les températures atteintes, de l’ordre de 900 °C en sortie de réacteur, permettraient d’utiliser cette filière comme source de chaleur pour l’industrie (sidérurgie, chimie) ou l’habitat. Les surgénérateurs emploient un mélange de plutonium 239 et d’uranium 238. Le cœur est entouré d’une «enveloppe surgénératrice» formée d’éléments d’uranium 238 qui captent les neutrons émis et se transforment en plutonium, lequel sert à son tour de combustible. Le surgénérateur fournit donc, en même temps que de l’énergie, plus de matière fissible qu’il n’en consomme. Le plutonium étant fissile à haute énergie, ces réacteurs n’utilisent pas de modérateur; ils sont dits «à neutrons rapides». La chaleur (545 °C environ) est évacuée par du sodium liquide. Certains pays, dont la France, ont mis en œuvre cette filière qui permet d’extraire quarante à soixante fois plus d’énergie que toutes les autres filières avec une même quantité d’uranium et de brûler les excédents de plutonium et d’uranium d’origine militaire et civil. Le plus grand prototype industriel, Superphénix (1 200 MWe), à Creys-Malville, fut couplé au réseau EDF en 1986.
Les applications de l’énergie nucléaire sont surtout orientées vers la production d’électricité. En 1992, on dénombrait 423 réacteurs en service dans le monde, totalisant une puissance de 330 GWe (million de kilowatts électriques) et produisant 16,6 % de l’électricité consommée.
La propulsion
L’énergie nucléaire connaît d’autres applications. En raison de son caractère très concentré et de la grande autonomie qu’elle procure, elle est utilisée pour la propulsion des navires de guerre et surtout des sous-marins. Le fait qu’elle ne nécessite pas d’oxygène est un atout pour ces derniers. Le premier sous-marin nucléaire, le Nautilus, mis en service le 17 janvier 1955, était américain. Il parcourut 100 000 km d’une traite et passa, en 1958, sous la banquise, démontrant ainsi la fiabilité de ce mode de propulsion. La technologie utilisée fut d’ailleurs à l’origine du développement des réacteurs de production à eau sous pression. Le principe de fonctionnement est assez proche de celui des centrales nucléaires. Cependant, les contraintes d’espace, de poids et d’autonomie conduisent à utiliser de l’uranium très enrichi (à 90 %) et à réduire l’encombrement de la cuve et du circuit primaire afin de limiter le poids de la protection radiologique qui les entoure. La puissance peut varier de 10 000 CV (7 MW), pour les petits navires civils et les sous-marins, à 300 000 CV (deux réacteurs de 110 MW), pour les grands porte-avions. Aujourd’hui, quelque 600 réacteurs à propulsion nucléaire sont embarqués à bord de 400 navires américains, russes, britanniques et français. Les facteurs économiques et politiques limitent les applications civiles de ce mode de propulsion aux seuls navires pour lesquels les avantages techniques sont prédominants. La flotte civile nucléaire encore exploitée se réduit, à l’échelon mondial, à trois ou quatre brise-glace, les trois cargos ou minéraliers construits ayant été désarmés soit parce qu’ils n’étaient pas rentables, soit à cause d’une vive opposition de l’opinion publique ou du refus de certains ports de les accueillir.
La recherche
Près de 370 réacteurs de recherche et d’essais étaient recensés dans le monde en 1997. Ils sont utilisés dans des domaines intéressant la recherche fondamentale (structure de la matière, biologie…), la recherche appliquée aux réacteurs eux-mêmes (étude des combustibles, étalonnage des appareils…) ou des applications diverses (production de radioéléments, neutronographie…). Leur puissance varie de quelques centaines de kilowattheures à plusieurs dizaines de mégawatts. Les réacteurs à cœur ouvert, ou «piles piscines», fiables et simples à conduire, sont fréquemment utilisés. Le combustible est immergé sous 5 à 10 m d’une eau qui joue le rôle de modérateur, de réfrigérant et de protection radiologique. Ces réacteurs étant surtout voués à la production de flux intenses de neutrons, on cherche à réduire la production de chaleur par une configuration géométrique particulière du cœur. La température n’excède pas 100 °C, et le combustible se présente sous la forme de plaques minces d’uranium enrichi jusqu’à 93 %.
Domaine spatial
L’énergie nucléaire est utilisée pour les besoins en électricité de certains satellites. Deux types de générateurs sont utilisés: les générateurs passifs, qui exploitent la désintégration naturelle de l’uranium pour produire de l’électricité par transformation thermo-ionique; les générateurs actifs, des réacteurs à uranium enrichi couplés à un turboalternateur. Les générateurs passifs, ou radio-isotopiques, sont les plus sûrs mais les moins puissants (quelques dizaines de watts). Ils équipent, entre autres, les stations de mesures automatiques disposées sur la Lune, ainsi que les sondes spatiales Voyager.< Les réacteurs sont plutôt utilisés pour subvenir aux besoins importants des satellites-radars militaires soviétiques: leur puissance peut dépasser 10 kW. La propulsion nucléaire appliquée aux engins spatiaux a également été envisagée, aux États-Unis notamment, mais n’a jamais été exploitée. Le principe consiste à employer un réacteur nucléaire pour chauffer un fluide propulsif (de l’hydrogène, par exemple) qui se détend dans une tuyère.
La sûreté nucléaire
Les réactions nucléaires produisent des éléments radioactifs émetteurs de rayonnements alpha, bêta et gamma, dangereux pour les organismes vivants. La sûreté nucléaire s’articule autour de la prévention des risques de dispersion des radioéléments et s’appuie sur des normes de construction, des règles d’exploitation très strictes et une gestion des déchets très réglementée.
La protection du réacteur
Le confinement des produits radioactifs est assuré par des barrières successives interposées entre le combustible et l’extérieur de la centrale nucléaire. La première barrière est constituée par les gaines qui contiennent les pastilles d’uranium. Leur rôle est d’éviter la propagation des produits de fission ou de les contenir. Le caloporteur n’est pas toujours en contact direct avec le combustible. Le matériau dont sont faites ces gaines doit être étanche aux produits de fission – dont certains (xénon, krypton) sont gazeux et très radioactifs –, tout en présentant une bonne conductibilité thermique et une bonne perméabilité aux neutrons – ceux-ci devant circuler librement d’un élément à l’autre. Selon la nature du combustible, on emploie du magnésium, du zircaloy (un alliage à base de zirconium) ou de l’acier inoxydable. La deuxième barrière est constituée par l’enveloppe du circuit primaire (cuve, tuyauteries, tubes des générateurs de vapeur), renfermant un réfrigérant toujours plus ou moins contaminé. La cuve du réacteur elle-même est en acier de plus de 20 cm d’épaisseur protégé contre la corrosion. L’enceinte de confinement du bâtiment du réacteur constitue la troisième et ultime barrière pour retenir neutrons rapides et rayonnements gamma, et contenir, en cas de fuite, les produits radioactifs. Constituée de béton précontraint (près de 1 m d’épaisseur), recouverte intérieurement d’une peau en acier, elle est conçue pour résister à une pression interne élevée et subir sans dommage un séisme ou même la chute d’un avion. Afin d’éviter que les éléments combustibles ne s’échauffent, les réacteurs sont munis de sécurités qui leur imposent un fonctionnement dans des limites très strictes. Si, pour une raison ou une autre, les seuils imposés ne sont pas respectés, des barres de sécurité, analogues aux barres de commande, tombent automatiquement dans le cœur et la réaction s’arrête instantanément. Des systèmes très sensibles permettent de détecter toute fuite du circuit primaire. En cas de perte importante, des circuits auxiliaires se déclenchent automatiquement pour maintenir le refroidissement du cœur. Un premier circuit injecte de l’eau froide additionnée d’acide borique dans le cœur afin d’arrêter la réaction en chaîne et de maintenir le refroidissement du combustible. Un second circuit, d’aspersion celui-ci, condense la vapeur, limitant ainsi la température et la pression dans l’enceinte.
Les rejets
Les centrales nucléaires rejettent dans l’environnement des effluents liquides et gazeux (fuites, purge des circuits…) qui contiennent des produits radioactifs comme le xénon 133 (période: 5 jours), l’iode 131 (période: 8 jours), le krypton 85 (période: 10,4 ans), le tritium (période: 12,2 ans). Ces rejets sont soumis à une réglementation qui fixe notamment le taux de concentration maximal admissible, et font l’objet d’un contrôle sévère, si bien que la radioactivité naturelle n’est augmentée que de 1 % à proximité des centrales. Les effluents liquides et gazeux faiblement radioactifs sont filtrés et stockés dans des réservoirs où leur radioactivité décroît, puis rejetés, après autorisation, dans l’atmosphère, la rivière ou la mer. Les autres effluents liquides sont traités par évaporation et dégazage. Les concentrats (boues) sont, comme les effluents solides, mis en fûts et stockés sur des sites équipés. Les gaz de fission sont retenus par les gaines et traités au centre de retraitement du combustible. Précipités, les produits radioactifs qu’ils contiennent ne sont pas rejetés mais stockés à l’état solide.
Que deviennent les installations «hors service»?
Au terme de sa carrière, tout réacteur nucléaire constitue lui-même un déchet dont il faut se débarrasser. Sous l’effet du bombardement neutronique, une partie de ses équipements, le cœur et le circuit primaire notamment, est devenue radioactive. La mise hors service est effectuée en deux phases, la première étant le déclassement. On retire le combustible, on vidange les circuits, on scelle les systèmes d’ouverture et d’accès. L’installation est maintenue sous surveillance pendant plusieurs dizaines d’années, jusqu’à une décroissance radioactive suffisante pour amorcer la seconde phase, le démantèlement. Deux options sont alors envisageables: les matériels irradiés sont isolés dans l’enceinte de confinement (qui peut éventuellement être placée sous un monolithe de béton); les installations sont totalement démontées (enceinte comprise) et le site peut être restitué au domaine public. Dans ce cas, les composants doivent être décontaminés, découpés, puis stockés en conteneurs sur des sites appropriés. Pour l’instant, bien que de nombreux réacteurs aient été arrêtés dans le monde, peu de centrales nucléaires ont été démantelées.
Les grands accidents nucléaires
De nombreux incidents se produisent chaque année dans les centrales nucléaires, mais les accidents sont très rares. L’un d’eux survint le 28 mars 1979 dans la centrale à eau pressurisée de Three Miles Island, en Pennsylvanie. La conjugaison de défaillances techniques et d’interventions humaines inadaptées conduisit à la mise hors service du circuit primaire de l’un des réacteurs. Cela provoqua la mise à nu du cœur, qui s’échauffa et fondit en partie. La circulation du réfrigérant fut rétablie à temps et évita la fusion du combustible, qui aurait alors pu traverser la cuve du réacteur et s’enfoncer dans le sol. L’enceinte de confinement joua son rôle et ne laissa échapper qu’une très faible dose de radioactivité. L’accident le plus grave eut lieu le 26 avril 1986, dans la centrale de Tchernobyl, en Ukraine. Cette centrale fait partie de la filière eau bouillante, modérée au graphite (RBMK), uniquement utilisée en URSS, et qui emploie de l’uranium enrichi, du graphite comme modérateur et de l’eau ordinaire bouillante comme réfrigérant. L’accident a été favorisé par le fait que les réacteurs de ce type sont instables dans certaines plages de fonctionnement. Par suite d’une série d’erreurs humaines, la réactivité de l’un des réacteurs augmenta si rapidement que, sous la pression croissante de la vapeur, une explosion se produisit, détruisant une partie du réacteur et provoquant un incendie. La gravité de l’accident tient surtout au fait que le réacteur fonctionnait sans enceinte de confinement. L’incendie libéra à peu près 5 000 fois plus de radioactivité que ce que rejette en un an une centrale en ordre de marche. Un nuage radioactif s’étendit sur toute l’Europe et fit plusieurs fois le tour de la Terre. Plus de 600 000 personnes furent plus ou moins contaminées en Ukraine. Douze ans après, la chape de béton abritant le réacteur menaçait de s’effondrer faute de travaux.
Le cycle du combustible
De l’extraction du minerai d’uranium au stockage des résidus, le combustible nucléaire donne lieu à de nombreuses activités.
La fabrication
Le minerai, très pauvre puisqu’il ne contient que de 1 à 3 kg d’uranium par tonne, doit tout d’abord être concentré puis purifié. Dans une usine située près de la mine, il est concassé et broyé pour être transformé en une sorte de boue. Des traitements chimiques permettent d’obtenir du diuranate d’ammonium, contenant 70 % d’uranium. Ce concentré d’uranium, appelé yellow cake en raison de sa couleur jaune, est ensuite converti soit en métal, soit en hexafluorure d’uranium (UF60), un gaz qui constitue la matière première utilisée pour l’enrichissement. Pour enrichir une certaine quantité d’uranium naturel en uranium 235, on prélève cet isotope sur une autre quantité d’uranium naturel que l’on appauvrit. L’enrichissement par diffusion gazeuse est le procédé de séparation isotopique le plus utilisé dans le monde. Son principe s’appuie sur la propriété qu’ont les molécules d’UF60 contenant de l’uranium 235, plus légères que celles contenant de l’uranium 238, de traverser plus rapidement les parois poreuses de milliers de tubes placés dans de grandes chambres cylindriques, les «étages de diffusion». En parcourant plusieurs centaines d’étages de diffusion placés en série, le gaz s’enrichit peu à peu en uranium 235. Le gaz enrichi est transporté à l’usine de fabrication des combustibles, puis reconverti en poudre d’oxyde d’uranium. Les pastilles sont élaborées par frittage puis portées à haute température (1 800 °C) dans un four.
Le retraitement du combustible irradié
Dans un réacteur à eau sous pression, le combustible est renouvelé par tiers (ou par quart) chaque année. Cette opération, qui nécessite l’arrêt du réacteur pendant trois à quatre semaines, est effectuée sous eau et à l’aide de télémanipulateurs. À sa sortie du réacteur, le combustible irradié – initialement composé de 97 % d’uranium 238 et de 3 % d’uranium 235 – contient moins de 1 % d’uranium 235, près de 1 % de plutonium 239, environ 3,5 % de produits de fission et près de 0,1 % d’éléments transuraniens. Il est stocké durant un an au fond d’une piscine, dans laquelle il perdra une partie de sa radioactivité et de sa chaleur résiduelle, puis acheminé, en conteneurs blindés, vers l’usine de retraitement. Le retraitement a pour objectif de récupérer le plutonium et l’uranium en vue d’une nouvelle utilisation. Les barres de combustible sont cisaillées, débarrassées de leur gaine, puis dissoutes dans de l’acide nitrique. Uranium et plutonium sont séparés des produits de fission à l’aide de solvants puis isolés l’un de l’autre et traités par voie chimique. L’uranium retourne vers les usines de raffinage et de conversion avant d’être de nouveau enrichi. Le plutonium est transformé en oxyde pour servir de combustible dans un surgénérateur ou, sous la forme d’un combustible à oxyde mixte d’uranium et de plutonium, le MOX, dans certains réacteurs à eau pressurisée. Les produits de fission, déchets hautement radioactifs, doivent être stockés en toute sûreté. Le retraitement n’est pas effectué de façon systématique par tous les pays. Les États-Unis, le Canada et la Suède ont choisi de stocker tels quels leurs combustibles irradiés. Dans l’attente d’un stockage en profondeur dans des zones géologiques stables, ceux-ci sont entreposés dans les centrales, au fond des piscines.
Le stockage des déchets radioactifs
Selon leur période radioactive et leur niveau d’activité, on distingue trois catégories de déchets. Les déchets de catégorie A contiennent des radioéléments à vie courte (moins de 30 ans), de faible ou moyenne activité. Ils proviennent des centrales et des usines du cycle du combustible (résidus d’épuration des effluents, pièces diverses, vêtements…). Ils représentent plus de 90 % du volume de l’ensemble des déchets radioactifs mais seulement 1 % de l’activité totale. Les déchets de catégorie B, aussi appelés «déchets alpha» en raison du rayonnement qu’ils émettent, présentent une activité faible ou moyenne mais qui peut durer des dizaines de milliers d’années. Ils proviennent surtout des usines de retraitement du combustible (gaines, boues…). Les déchets de catégorie C, les plus nocifs, resteront actifs pendant plusieurs centaines de milliers d’années. Ils sont constitués d’un mélange de produits de fission, d’une faible quantité de plutonium (période: 24 000 ans) qui n’a pu être extraite et d’éléments transuraniens comme le neptunium 237 (2,14 millions d’années) ou l’américium 241 (458 ans). Une tranche nucléaire de 900 MWe produit chaque année 193 m3 de déchets, contre seulement 109 m3 pour les tranches de 1 300 MWe. Les déchets à vie courte de faible et moyenne activité sont compactés, enrobés de ciment, de bitume ou de résine, puis placés dans des conteneurs en béton ou en acier. Le stockage s’effectue en surface, en décharge bétonnée. Selon leur radioactivité, les conteneurs sont empilés en tumulus ou enfermés dans des monolithes de béton. Une fois saturés, les sites sont recouverts d’argile, pour éviter les infiltrations d’eau, et de terre. Ils seront placés sous surveillance pendant trois siècles, au terme desquels les déchets seront devenus inoffensifs. Les déchets à longue durée de vie sont stockés de manière provisoire. Les déchets alpha sont conditionnés dans du béton et entreposés dans des fosses bétonnées. Les produits de fission sont d’abord stockés à l’état liquide durant cinq ans au moins dans des cuves réfrigérées en acier inoxydable puis traités afin d’obtenir une poudre que l’on incorpore à du verre fondu qui sera coulé dans des fûts métalliques. Ceux-ci sont entreposés sur place pour une trentaine d’années dans des puits de béton ventilés. La stabilité du verre à l’échelle des temps millénaires ne pouvant être vérifiée, le stockage de ces déchets reste un problème non résolu. Pour de nombreux pays, le stockage définitif en profondeur (entre 200 et 1 000 m) dans des couches géologiques stables depuis des millions d’années serait la solution. Plusieurs roches paraissent indiquées, dont l’argile, le sel, le granite et le schiste. Des études sont en cours pour localiser les sites les plus favorables, et quelques pays disposent déjà de laboratoires souterrains afin d’étudier sur place la réaction des roches. La France a retenu quatre sites potentiels. Dans l’hypothèse de résultats concluants, le premier stockage profond français pourrait a été mis en service vers 2010.
L’industrie nucléaire dans le monde
Le choc pétrolier de 1973 a favorisé, dans les pays occidentaux, le recours à l’énergie nucléaire. La contribution de cette dernière dans la production mondiale d’électricité est ainsi passée de 3 % en 1973 à 17,5 % en 1991. Elle devrait être de 16,2 % en 2000 et de 13,2 % en 2010.
Les programmes électronucléaires
Malgré une croissance rapide, l’industrie électronucléaire n’a pas connu le développement attendu. Certains pays, comme les États-Unis ou l’Allemagne, ont cessé de développer leur programme d’équipement ou, comme l’Italie et l’Autriche, ont simplement renoncé à cette énergie. D’autres, comme le Royaume-Uni, la Pologne ou la Suisse, décideront d’ici à l’an 2000 de la poursuite ou de l’abandon de leur programme électronucléaire, tandis que la Suède envisage de le stopper à l’horizon 2010. Les raisons de ce ralentissement diffèrent selon les pays et tiennent, entre autres, à des inquiétudes relatives à la sûreté. La catastrophe de Tchernobyl en 1986 a réveillé la crainte d’un accident capable de libérer de grandes quantités de produits radioactifs. Si minime soit-il, ce risque augmentera avec le nombre de réacteurs construits. Le risque associé au stockage des déchets radioactifs se décline plutôt en termes d’incertitudes quant à la sécurité, à très long terme, des générations futures. Par ailleurs, les progrès effectués pour améliorer la sûreté des installations ont considérablement augmenté les coûts de construction des centrales. Pourtant, même si ces derniers dépassent de beaucoup ceux des centrales thermiques à flammes, le coût du combustible nucléaire par unité de production est nettement inférieur. Ainsi, pour les pays industrialisés déficitaires en ressources fossiles, les centrales nucléaires produisent une électricité souvent moins chère que celle produite par les centrales thermiques au charbon. Pour les pays en voie de développement, il est rare, en revanche, que l’énergie nucléaire soit la solution la mieux adaptée, et surtout la moins coûteuse. La France se situe au premier rang pour la part occupée par l’énergie nucléaire dans la production d’électricité (75 %) et au deuxième pour la puissance installée, derrière les États-Unis. À un taux d’indépendance énergétique proche de 50 % s’ajoute une autonomie industrielle notable, tant pour la fabrication des centrales que dans la maîtrise du cycle du combustible. >
Perspectives
Plusieurs programmes de recherche sont en cours dans le domaine du cycle du combustible (amélioration du taux de combustion, amélioration des techniques de retraitement, stockage des déchets) afin de réduire le volume des déchets et des effluents, ainsi que leur activité. Un «retraitement poussé» permettrait de séparer plus finement les composants radioactifs. Les éléments transuraniens pourraient ensuite être transmutés en éléments de courtes périodes par fission. On cherche aussi à réduire le coût de fabrication du combustible. Les États-Unis, le Japon et la France développent une technique de séparation isotopique par laser qui permettrait de diminuer le coût d’enrichissement de l’uranium. Les constructeurs étudient des réacteurs de nouvelle génération, plus sûrs, plus économiques, destinés au renouvellement du parc électronucléaire actuel. Dans cette perspective, constructeurs et exploitants préparent le démantèlement des installations. La durée de vie d’une centrale nucléaire peut atteindre une quarantaine d’années. En France, où la plupart des centrales nucléaires ont été mises en service entre 1977 et 1988, cette activité prendra une dimension industrielle à partir de 2015. La prochaine génération de réacteurs à eau légère (REP) prendra alors le relais de la génération actuelle. Les électriciens européens préparent en commun l’avenir: un nouveau modèle de réacteur à eau sous pression, le réacteur EPR (european pressurised reactor), conçu après l’an 2000, bénéficiera de l’expérience accumulée en Allemagne et en France. Sa sûreté sera encore accrue. Contrairement au charbon, l’énergie nucléaire, les risques d’accidents majeurs mis à part, ne libère aucun des polluants responsables des pluies acides et de l’effet de serre. Au XXIe siècle, elle pourrait jouer à ce titre un rôle croissant dans la protection de l’environnement, à condition toutefois que l’ensemble des nations s’accordent pour renforcer l’entraide, l’harmonisation des normes de sûreté et le contrôle international des activités nucléaires.<